Pierre de BRETIZEL : Les eaux souterraines du Mont Agel ...

   

3. OBSERVATIONS TECTONIQUES

L'Arc de Nice, dont fait partie le Mont Agel, est probablement la zone tectonique la plus complexe des Préalpes du Sud.
La carte géologique au 1/50 000 (feuille Menton-Nice) est un excellent document de base sur le plan stratigraphique. Elle ne permet cependant pas de dégager une image structurale claire et cohérente de ce secteur.
La finalité de notre travail étant hydrogéologique, il nous a paru nécessaire de refaire une cartographie tectonique détaillée pour mieux comprendre la gîtologie et les circulations des eaux souterraines. Pour cela nous avons mis en oeuvre une procédure de traitement informatique d'images numériques provenant soit de photographies aériennes, soit de fragments d'image satellite.
Nos travaux sur le Mont Agel, exécutés de 1994 à 1999, ont consisté en levés de terrain au 1/25 000. Le traitement d'image par ordinateur et la photo-interprétation structurale ont été utilisés systématiquement au cours de ces levés, permettant ainsi de corréler d'une manière satisfaisante les données ponctuelles du terrain.
Un certain nombre de structures tectoniques nouvelles ont ainsi été mises en évidence. Des précisions ont été apportées sur celles déjà reconnues par nos prédécesseurs.

3.1. Inventaire des structures tectoniques
Cinq types de déformations se présentent dans le massif du Mont Agel (les lettres renvoient à la carte)

3.1.1. Plis isoclinaux

(A) : anticlinal du Seuillet (flanc ouest du Mont Agel)
A l'affleurement on observe deux séquences superposées : une séquence inférieure composée de calcaires en dalles du Jurassique supérieur et moyen ; une séquence supérieure composée de dolomies litées du Lias. Cette dernière appartient à une unité chevauchante que nous décrirons plus loin.
L'axe anticlinal de la séquence inférieure, érodée antérieurement au chevauchement, est orienté N 120E.
La séquence supérieure chevauchante présente également une structure anticlinale mais orientée différemment : N 150E. Ce décalage est particulièrement visible sur l'image satellite SPOT traitée par contraste normalisé (voisinage 2) (*)

(B) : anticlinal de Malpas (flanc est du Mont Agel)
- Flancs dans les dolomies du jurassique moyen.
- Coeur érodé dans les marnodolomies de l'Infralias.
- Axe de direction N 120E-N 130E, dans le prolongement de l'axe anticlinal inférieur du Seuillet.

(C) : anticlinal de Roquebrune-Cap Martin
- Flancs dans les marnes cénomaniennes et les calcaires marneux du Turonien.
- Coeur dans les calcaires jurassiques.
- Axe de direction N 130E.
La partie nord-ouest de cette structure est recouverte en discordance par les poudingues marins miocènes de Roquebrune.

(D) : synforme de Fontbonne
La morphologie de cette structure apparaît indécise car elle est fortement Perturbée par deux fronts chevauchants plus récents et par des effondrements gravitaires tardifs dans la zone littorale.
Elle se traduit essentiellement par un épaississement considérable de la formation turonienne-sénonienne sous les falaises jurassiques du Mont Agel. Ce changement d'épaisseur ne paraît pas être d'ordre sédimentaire. II apparaît plutôt comme le résultat d'une érosion différentielle, antérieure aux chevauchements et similaire à celle déjà mentionnée plus haut à propos de l'anticlinal du Seuillet.
Vers le sud, ce synforme est recoupé par la ligne de rivage entre le Larvotto et Cabbé, points où réapparaissent les calcaires jurassiques.
Vers le nord, il apparaît bien développé sur le flanc occidental dit Mont Agel, dans le secteur de Saint Martin de Peille.

3.1.2. Fronts chevauchants. Plis couchés

(E) : front chevauchant de la Turbie
- Partie orientale d'un front chevauchant s'étendant de la Trinité (vallée du Paillon) à l'ouest jusqu'au Mont Gros (au dessus de Roquebrune) à l'est.
- Orientation moyenne: N 75E
- Nature de l'allochtone : calcaires et dolomies du Jurassique (en violet sur la carte).
- Nature de l'autochtone : marnocalcaires du Crétacé supérieur, masqués en partie par des effondrements gravitaires et des masses d'éboulis.
- Limite à l'est (Mont Gros) : faisceau faillé décrochant senestre de direction méridienne s'amortissant vers le nord sur 2 kilomètres.
I1 faut noter que ces décrochements latéraux témoignent très probablement d'une rupture de la masse allochtone au cours de son mouvement. Ils n'affecteraient donc pas le soubassement autochtone demeuré rigide.
- Pendage moyen de l'allochtone : 2° nord, estimé à partir de l'horizon repère du toit du Jurassique.
- Plongement : très faible vers l'ouest, de la cote + 680 mètres au Mont Gros à la cote + 620 mètres au-dessus de la Turbie.

(F) : front chevauchant du Mont Agel
II s'étend sur 7 kilomètres d'ouest en est depuis l'extrémité ouest du Plateau Tercier jusqu'à la crête sommitale du Mont Agel.
- Orientation moyenne : N 70E.
- Nature de l'allochtone : calcaires et dolomies du Jurassique (en orange sur la carte).
- Nature de l'autochtone : marnocalcaires du Crétacé supérieur.
- Limite à l'est : décrochement probable, masqué par les éboulis de la falaise sommitale du Mont Agel.
- Limite à l'ouest : amortissement progressif en pli couché à charnière déversée vers le sud (plateau Tercier).
- Pendage moyen de l'allochtone : 10° nord sur le Mont Agel. II s'accentue vers l'ouest jusqu'à 45° nord sur le flanc nord de la cime de la Caussinière.
- Plongement : important vers l'ouest, de la cote + 1 100 mètres au mi Agel à la cote + 560 mètres au plateau Tercier, soit une dénivelée de 540 mètres sur 7 kilomètres.

 
Le Mont Agel (flanc Nord-Est)
Au premier plan, les falaises jurassiques
de l'anticlinal autochtone de Malpas,
surmontées par le front chevauchant du Mont Agel

La couverture allochtone présente de larges trouées sur le flanc ouest du Mont Agel : les marnocalcaires crétacés autochtones apparaissent dans des « fenêtres » à l'est de Saint Martin, de même que le toit des calcaires jurassiques autochtones qui apparaissent dans une « boutonnière » entre la crête des Cabanelles et le secteur de Saint Pancrace.


Le Mont Agel (flanc Ouest)
la falaise est un plan de faille normal à regard Ouest dans l'Infralias

(G) : chevauchement de la cime du Rastel

Le vallon de la Launa (vue vers l'Est)
Chevauchement du Rastel. A gauche de la photo, la grande faille décrochante de Peille-Sainte Thècle longe par le Nord l'escarpement calcaire de Peillon
 - Extension : 3 kilomètres entre Peillon et le col de Saint Pancrace. - Orientation: N 45E.
- Pendage moyen : 60° nord-ouest.
- Limite nord-est : faille du col de Saint Pancrace.
- Limite sud-ouest : amortissement progressif sous le vieux village de Peillon.
- Nature de l'allochtone : calcaires et dolomies jurassiques (en vert sur la carte).
- Nature de l'autochtone : marnocalcaires du Crétacé supérieur au sud-ouest puis dolomies du Jurassique moyen vers le nord-est.

Ce chevauchement se dédouble localement en un repli secondaire parallèlement et au sud du front principal (Baou Roux).


Saint Pancrace (vue vers le Sud-Ouest)
Modelé karstique ancien
modelé par l'érosion actuelle du ravin de la Launa


Ravin de la Launa
Sous cavage par le torrent du plan de chevauchement jurassique du Rastel sur les marno calcaires turoniens

(H) : chevauchement de la cime de la Morgelle

Partie ouest d'un front chevauchant comprenant la cime de Gorbio vers l'est.

- Extension : 2 kilomètres.
- Orientation : N 90E.
- Limite est : faille décrochante du col de la Madone.
- Limite ouest: faille décrochante de Peille.
- Nature de l'allochtone : calcaires et dolomies du Jurassique (en vert sur la carte). - Nature de l'autochtone : calcaires sommitaux du Jurassique.


Peille : Derrière le village, les escarpements calcaires jurassiques chevauchants de la cime de Morgelle,
disloqués par des failles récentes

(I) : pli couché de Gorbio
Entre la cime de Galian à l'ouest et la cime de Gorbio à l'est.
- Orientation de la charnière : N 100E avec déversement vers le sud.
- Pendage du flanc normal : vers le nord (valeur indéterminée).
La zone de la charnière fait apparaître par érosion les marnes et dolomies de l'Infralias entourées des dolomies plus massives du Lias et du Jurassique moyen (en violet sur la carte).
La structure est recouverte à l'ouest par le chevauchement jurassique du Mont Agel. A l'est et au sud-est, elle se déverse sur les marnocalcaires crétacés du Val de Gorbio.

(J) : front chevauchant jurassique du Mont Baudon
Situé en dehors de la zone d'étude, il est cité pour mémoire. Il est orienté N 120E avec un pendage général vers le nord-est.

3.1.3. Failles décrochantes

(K). : faille de Peille-Sainte Thècle


Rocher de Peillon (vue vers le Nord) : Réseau de failles secondaires entre les deux grands accidents décrochants de Peille - Sainte-Thècle et de Laghet
Par son amplitude et sa longueur, c'est une des déformations les plus importantes de la région. Elle limite au nord-ouest le massif du Mont Agel.
- Extension longitudinale : 10 kilomètres environ dans le secteur étudié. Vers le sud-ouest, elle se raccorde probablement à l'accident du Mont Vinaigrier (est de Nice). Vers le nord-est, elle se prolonge jusqu'à la zone tectonique de Sospel où elle paraît se raccorder au grand linéament de la Roya.
- Directions : N 20E entre la cime du Baudon et Peille, N 35E entre Peille et sainte Thècle, N 40E au sud-ouest du plateau Tercier.
-Type de déformation : normale, décrochante senestre, à regard nord-ouest.

- Rejet :
a) composante horizontale = 2 kilomètres. Décalage de l'horizon repère du Purbeckien (sommet du Jurassique) de part et d'autre de la faille (du Rocher du Pied de Jacques au rebord sud du Mont du Castellet).
b) composante verticale = difficile à évaluer étant donné l'absence de repères et d'informations sur les épaisseurs réelles du Crétacé supérieur. En se basant sur les données altimétriques relatives entre affleurements crétacés et jurassiques, elle pourrait atteindre une centaine de mètres entre Peille et La Grave.
Le déplacement résultant paraît s'atténuer progressivement vers le sud-ouest.
On remarquera que malgré son importance, cette structure tectonique n'est pas reportée sur la carte géologique au 1/50.000, à part une courte ébauche à proximité de Peille. Pourtant, sur le terrain, de nombreux points d'observation attestent de son existence, notamment sous le Rocher du Pied de Jacques (grand miroir de faille), le Mont du Castellet, le flanc ouest de la cime du Rastel (brèches calcaires de faille, mylonites de faciès marneux).
Également visible sur photo aérienne, elle apparaît avec netteté sur image numérique traitée (contrastes normalisés).

(L) : faille de Laghet
Contrairement à la structure précédente, celle-ci est bien cartographiée sur la carte au 1 /50 000.
- Extension longitudinale : 7 kilomètres entre la cime du Rastel et le plateau du Camp de l'Allée au sud-ouest de Laghet.
- Directions : N 10E entre la cime du Rastel et la pointe des Lacs. N 25E entre la cime des Lacs et Laghet.
A la cime du Rastel, elle se termine par un crochet brusque vers le nord-ouest et se perd dans la zone broyée de la faille (K). Ce rebroussement indique un pendage vers l'ouest de 50° environ.
- Type de déformation : décrochante senestre.
- Rejet horizontal : 0,5 km = décalage de la base du Jurassique chevauchant, au sud de la cime de la Caussinière.

Cette structure est probablement un satellite de la grande faille (K). En effet, dans le ravin de la Launa, près du point où ces deux structures se rejoignent, on observe un faisceau secondaire de failles décrochantes dans les falaises de calcaires jurassiques. Leurs directions, variables, sont toutes sécantes sur les failles (K) et (L) qui les limitent : il s'agirait donc ici d'un champ de cisaillement occupant l'espace entre deux failles majeures.


Crête de la Caussinière
Trou souffleur dans le jurassique supérieur.
Le diamètre d'entrée est d'environ 50 cm.

(M) : faille du col de Guerre
Elle affecte le front chevauchant jurassique de la Turbie. - Extension longitudinale : 2 kilomètres. - Direction : N 180E. - Type de déformation : décrochante senestre. - Rejet horizontal : 0,5 km = décalage du toit du Jurassique.

(N) : faille du col de la Madone


Col de la madone : Exemple de miroir de faille décrochante à cannelures inclinées à 25°
Elle décale le front chevauchant de la cime de Gorbio, par rapport à la cime de la Morgelle.
- Extension longitudinale : 0,5 km.
- Direction : N 160E visible.
- Type de déformation : décrochante dextre.
- Rejet horizontal : 0,3 km = décalage du toit du Jurassique.
Le miroir de la faille est bien visible juste en dessous du col dans la paroi calcaire : stries et cannelures plongeant à 25° vers le sud.

3.1.4. Failles normales profondes

Ces structures distensives se localisent à proximité de la partie la plus élevée du massif.

(O) : faisceau des Cabanelles

- Extension longitudinale : 2,5 km.
- Direction moyenne : N 25E.
- Type de déformation : 3 failles normales en gradins, à regard ouest, affectant le flanc ouest de la crête du Mont Agel.
- Rejets topographiques : gradin supérieur = 200 mètres, gradin médian = 50 mètres, gradin inférieur = 80 mètres.
Par extrapolation, le rejet total du faisceau peut être estimé à 550 mètres environ. Il abaisse vers l'ouest l'ensemble du front chevauchant jurassique du Mont Agel et son soubassement de calcaires marneux turoniens.


La crête des Cabanelles (vue vers le Nord)
Jurassique chevauchant du Mont Agel
reposant en discordance sur le coeur érodé de l'anticlinal autochtone du Seuillet

(P) : graben du Mont Galian


Le Mont Galian (vue vers le sud)
Eperon sud-est : calcaires du Jurassique supérieur.
A l'arrière plan, le littoral de Menton

- Extension longitudinale : 2,5 km.
- Direction moyenne: N 120E.
- Type de déformation :fossé tectonique de 200 mètres de large environ, affectant les calcaires jurassiques entre le Mont Galian et la crête des Cabanelles.
Il est recoupé au sud-est, vers Gorbio, par les falaises jurassiques qui terminent à l'est le chevauchement du Mont Agel.
Au nord-ouest, au-dessus de Peille, il est recoupé par la grande faille de Peille - Sainte Thècle (K).

(Q) : faisceau de Saint Pancrace
- Extension longitudinale : 2 kilomètres.
- Directions : faille est = N 150E : faille ouest = N 170E.
- Type de déformation : deux failles distensives à regard ouest, abaissant par gradins les calcaires du chevauchement du Mont Agel et ceux de la cime du Rastel.
La faille est semble se raccorder au sud à la faille (O) inférieure.
La faille ouest, plus ou moins parallèle au décrochement (L), délimite avec celui-ci la dépression fermée des « Lacs ».
Les deux failles sont recoupées au nord-ouest par la grande faille de Peille - Sainte Thècle (K). Au passage de la crête du Rastel, les directions se rebroussent en chevrons indiquant un pendage d'ensemble de 50° environ vers l'ouest.

3.1.5. Effondrements gravitaires
Ils affectent les parties les plus escarpées du secteur, à savoir de part et d'autre de la crête sommitale du Mont Agel et sur les pentes descendant vers le littoral.
Sur la carte, nous avons reporté les plus importants :
- Clapier (chaos de blocs calcaires) de la Terca au pied des falaises ouest du Mont Agel (R)
- Clapier de la Loubère au pied des falaises est du Mont Galian (S) - Corniche de Saint Roch, à l'est de la Turbie (1)
- Corniche du Vistaero, sous le Mont Gros (U)
Les deux derniers correspondent à des glissements des calcaires jurassiques du front chevauchant de la Turbie sur les marnes du Crétacé supérieur.

   

(*) Note : cette image traitée a été présentée sous forme de diapositive à la conférence donnée à l'A.N.N.A.M. le 18 avril 2000.